Tobias se tenait à quelques mètres devant moi. Son regard luisait d’une émotion que je n’avais encore jamais vu chez lui. C’était un mélange de fureur, d’amertume et de haine. Ses doigts enserraient le cou de Jake avec une telle poigne que ce dernier n’arrivait pas à s’en défaire. Il se débattait dans tous les sens pour se sortir de l’étreinte de son adversaire, en vain.  

• Comment oses-tu te présenter à ma soirée et agir de la sorte ? rugit Tobias. 

Jake ne pouvait pas répondre. Sa gorge était trop compressée pour laisser passer le moindre son. Ses yeux imploraient la pitié et son teint devenait blafard au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient. 

Tobias ne bougeait pas et le fixait avec intensité. Il était extrêmement froid et arborait une expression presque meurtrière sur son visage. En soit, il était terrifiant et j’en avais des frissons rien qu’en l’observant. 

• Écoute-moi bien, Parker, cracha Tobias en approchant son visage de celui de sa victime. Je pourrais te tuer, là tout de suite. Qu’en penses-tu ? Ce ne serait pas cher payé pour tout ce que tu as fait à Cléa, tu ne crois pas ?

J’observais la scène sans bouger, ne sachant que faire. Tobias était hors de lui et Jake commençait à manquer d’air. Une pointe de compassion fit son apparition mais je la refoulais en repensant à ce qu’il venait de me faire subir quelques minutes plus tôt.

Tobias relâcha soudainement la pression pour laisser Jake s’écrouler au sol. Ce dernier était haletant et il avait le visage rougi par l’effort. Il balaya les alentours du regard à la recherche d’une aide potentielle. Mais il n’y avait personne, nous étions seuls, tous les trois dans la nuit. 

• Cléa, il est à toi, m’interpella Tobias en se décalant d’un pas. Si tu veux lui rendre quelques coups, je ne te retiendrais pas. 

Je regardais Tobias d’un air hésitant puis me leva, grimaçant quelque peu sous l’effet de la douleur. Je me plaçais devant Jake et pris une expression qui se voulait la plus sombre possible. Nous nous affrontions du regard, sans bouger. Je voyais dans ses yeux toute l’amertume qu’il avait pour moi ainsi que sa colère de ne pas m’avoir fait plus de mal. 

• Tu n’as jamais compris que je n’étais pas ton ennemie, m’exclamais-je d’un ton las. Pourquoi est-ce que tu me voyais comme une menace ? Nous aurions pu aller loin, ensemble, tu ne crois pas ?
• Jamais de la vie, rugit-il. Tu n’es qu’un parasite, tu ne méritais pas ton poste chez Daily News et encore moins celui que tu as désormais. Tu n’es qu’une minable et tu resteras toujours une minable !

Je fermais les yeux à l’entente de ses paroles et pris une grande inspiration pour me calmer. Lorsque je les rouvris, j’asséna une grande gifle sur la joue droite de Jake. Il ne l’avait pas vu venir. Il se prit de plein fouet la claque et ouvrit de grands yeux ahuris en se tenant sa pommette rougie. 

• Je ne suis pas une minable, tonnais-je d’une voix soudain glaciale. Je ne serais pas ici aujourd’hui si j’en étais vraiment une. Tu m’as assez rabaissé ces dernières années pour que je te laisse continuer. Maintenant, ça suffit. Comment peux-tu oser aller jusqu’à me menacer et m’agresser ? 
• Petite idiote, tu n’as toujours pas compris que tu n’étais pas faite pour ce monde, ricana-t-il. 
• Vraiment ? Pourtant, ma carrière est déjà plus importante que la tienne grâce à ce contrat que tu m’as gentiment laissé, susurrais-je d’une voix mielleuse. 

Jake vit rouge. D’un bond, il se releva et plongea dans ma direction. Mais cette fois-ci, j’avais anticipé sa réaction. Je me décalais d’un pas pour le laisser s’écraser de tout son long sur le sol. 

• Tu vas me le payer, grogna-t-il en se redressant. 

Tout à coup, je me figeais. Jake venait de pointer sur moi un revolver sorti de nul part et me lançais des regards menaçants. 

• Dans la vie, tout a un prix, grinça Jake. Tu m’as volé la seule chose qui allait enfin faire décoller ma carrière, me rendre riche et célèbre. Et pour cette raison, tu vas le payer de ta vie, Cléa Stanford.

Je n’eus pas le temps de réagir cette fois. Jake tira. Je fermais les yeux, prête à accepter la balle qui allait me transpercer. Je repensais à tous les derniers moments passés à Silvester Company et à la joie que j’éprouvais quand je travaillais avec Tobias. J’étais tellement fière et heureuse de faire partie de cette société, bien qu’à moitié, appartenant toujours officiellement à Daily News. Même si je savais que mon contrat allait s’arrêter un jour, j’avais profité de chaque instant et je ne regrettais rien.

Je m’étais arrêtée de respirer par réflexe mais, après quelques secondes à attendre, rien ne se passa. J’ouvris un œil hésitant avant de réaliser avec stupeur ce qu’il se passait.

Tobias était dos à moi et faisait face à Jake. Il s’était interposé entre nous deux. Je le contournais rapidement et poussa un cri de panique en découvrant la tâche de sang qui grossissait à vue d'œil au niveau de son torse. Nos regards se croisèrent quelques secondes puis, lentement, je le vis basculer vers l’arrière pour venir s’écraser au sol dans un bruit sourd. 

• Quel idiot, jura Jake. Après tout, il n’a eu que ce qu’il méritait lui aussi. Il aurait dû me choisir plutôt que de me mettre sur le banc de touche.

Cette dernière phrase me fit un électrochoc. Je me retournais d’un pas rapide et me jeta sur Jake pour lui arracher le pistolet des mains. Ne s’attendant pas à une telle réaction de ma part, il perdit l’équilibre et tomba à la renverse. Sa tête cogna le sol assez violemment pour lui faire perdre conscience pendant quelques secondes. Ce bref instant me permit de lui attraper les mains et le bloquer, comme il l’avait fait avec moi plus tôt dans la soirée. Les rôles étaient inversés, une fois de plus. 

• Lâche-moi ! s’écria-t-il en se débattant dans tous les sens. Tu mérites de crever, toi aussi ! 
• Tu n’es qu’une ordure, Jake ! hurlais-je, folle de rage. Pourquoi t’as fait ça ? 
• Que se passe-t-il ici ? 

Une voix rauque s’éleva soudain derrière nous. Je jetais un bref coup d'œil derrière mon épaule et aperçut un groupe de personnes venant dans notre direction. Je sentis une vague de soulagement me traverser en reconnaissant les uniformes des policiers. Ils étaient accompagnés de quelques invités que je ne connaissais pas.

Tout s’enchaîna très vite. Deux agents s’étaient emparés de Jake et l’emmenaient vers leur véhicule. Deux ambulances étaient arrivées dans les secondes qui suivaient son interpellation. Et alors que je m’apprêtais à monter dans celle qui m’était destinée, une couverture de survie sur le dos, mon regard se posa une dernière fois sur celle qui démarrait en trombe, gyrophares allumés, sirène enclenchée. 

-

Le soleil descendait progressivement au loin. Les teintes rosées et orangées s’accordaient parfaitement avec le bleu du ciel. Quelques oiseaux volaient, les uns derrière les autres. Le spectacle était tout simplement magnifique.

• Tu veux un autre verre de vin ?

Je détournais le regard de ce sublime paysage et lançais un regard appuyé à Tobias.

• Je te rappelle que tu n’es pas encore totalement rétabli, lui fis-je remarquer.
• C’est un remède comme un autre, sourit-il. 

Tobias était sorti de l’hôpital il y a une semaine après y avoir passé presque un mois. Il n’était pas encore entièrement guéri mais il retrouvait de son vivant au fur et à mesure. Le drame avait été évité de peu. La blessure infligée par le revolver était profonde et l’endroit touché lui aurait été fatal à quelques centimètres près. 

Pour ma part, je n’avais rien eu de grave. Quelques hématomes et une côte fêlée qui s’étaient rapidement soignés. 

Suite à ces événements, Jake avait été arrêté et placé en garde à vue. Il avait essayé de manipuler la police en faisant croire qu’il était la victime mais cela n’avait pas vraiment fonctionné. Les témoignages contre lui étaient cohérents par rapport aux blessures recensées et ses empreintes avaient été récupérées sur l’arme. Il n’y avait aucun doute qu’il était l’agresseur et allait passer un long séjour en prison. 

Les incidents de cette soirée avaient fait le tour des médias. L’encre avait coulé à flot pendant des jours et des jours. J’avais été particulièrement occupé à répondre aux nombreuses interviews et aux questions des internautes via les réseaux sociaux. Tobias avait été sollicité de tous les côtés mais j’avais refusé toutes les propositions potentielles. Il avait besoin de repos et de calme. 

• Maintenant que tu es une Silvester, ça te fait quoi ? me demanda Tobias en s’approchant de moi.
• Calme-toi, je ne suis pas une Silvester mais une employée de Silvester Company, ce n’est pas la même chose, soulignais-je. 
• C’est presque pareil. 
• Pas vraiment, non !

Tobias s’esclaffa devant ma réaction ahurie et m’attrapa la main avec une tendresse qui lui était nouvelle. Il y déposa un léger baiser et plongea son regard dans le mien. 

• On rentre à la maison ou tu veux encore observer le coucher de soleil ? 
• Je ne serais pas contre un bon bain chaud. 

Tobias acquiesça et m’aida à me lever. Il rangea les verres et la bouteille de vin qu’il avait emmené pour l’occasion dans le sac et je récupérais les restes de nourriture qui traînaient. J’attrapais la main qu’il me tendait et lui fit un sourire radieux. Désormais, je faisais partie intégrante de son entreprise et de sa vie personnelle et cela n'était pas prêt de s'arrêter. C'était le début d'une nouvelle aventure.

Fin de cette première mini-série. En espérant qu'elle vous aura plu, au plaisir de vous lire dans les commentaires !