• Monsieur Silvester ! s’exclama Jake d’un ton enjoué. Je suis absolument ravi de faire votre connaissance. C’est un grand honneur pour nous d’avoir été choisi pour succéder à votre ancien attaché de presse, un très grand homme ceci dit en passant. 
• Et vous êtes ? demanda Tobias en haussant un sourcil. 
• Jake Parker. Je suis le Chef de la Rédaction chez Daily News et c’est moi qui vous accompagnerais désormais. 
• Mais vous n’êtes pas seul à ce que je vois. 

Le regard de Tobias se posa soudain sur moi. Je restais figée, espérant qu’il ne me reconnaisse pas. Mes espoirs s’envolèrent instantanément lorsque je le vis tressaillir et afficher un léger sourire sournois en coin. 

• Je vous présente Cléa Stanford. C’est ma… Chef Adjointe. Elle sera également présente dans votre suivi médiatique mais ne sera pas en lien direct avec vous. Je serais votre unique interlocuteur.
• Et cette jeune fille ne parle pas ? Ou devrais-je plutôt dire, ne parle plus ? demanda Tobias d’une voix pleine de malice.
• Elle est uniquement ici pour récolter les informations importantes et vous prendre en photo pour qu’on puisse commencer à travailler sur vos futurs articles, répondit précipitamment Jake. 
• Ce n’est pas à vous que je m’adressais, Parker.

Sa voix sonnait comme un avertissement et Jake l’avait très bien assimilé puisqu’il recula de deux pas pour me laisser sa place. Tobias me fixait toujours sans broncher, attendant patiemment une réponse de ma part. 

• Je pense que Jake a déjà tout dit, me contentais-je de répondre calmement. 
• Vraiment ? Que c’est ennuyeux ! Vos articles seront donc aussi vides et inintéressants que vous ? 

Sa remarque me piqua au vif. Alors que je m’apprêtais à l’envoyer balader pour la seconde fois de la journée, Jake me devança et se replaça entre lui et moi pour couper l'électricité qui commençait à s’installer.

• Peut-être devrions-nous échanger uniquement vous et moi, Monsieur Silvester ? Comme je vous l’ai dit, Cléa ne sera qu’en second plan. Je serais le seul en charge de votre couverture médiatique et je peux vous assurer qu’entre mes mains, vous ne risquez rien !
• Très bien, accepta Tobias en s’asseyant sur un des sièges en cuir présents dans la salle. Expliquez-moi votre façon de travailler et vos idées, Monsieur Parker. Vous avez vingt minutes pour me convaincre.

-

Comme prévu, nous étions ressortis de la salle de réunion vingt minutes plus tard. Tobias paraissait intéressé par notre proposition, bien qu’il n’avait pas encore donné son verdict final. J’avais pris toutes les notes essentielles pour répondre à ses besoins en cas de signature avec nous. Il était très exigeant mais cela se comprenait au vu de son statut. Il ne pouvait pas se permettre de se faire de la mauvaise pub et devait se montrer attentif aux moindres détails.

Jake quant à lui semblait satisfait de sa performance et affichait un grand sourire victorieux. Il était sûr d’avoir le contrat et ne manquait pas de me le répéter depuis que nous avions quitté Tobias. 

• Lokmond va être tellement fier de moi, se félicitait-il. Je vais enfin avoir la promotion que j’attends depuis si longtemps ! Comment pourrait-il me la refuser après ça ? 
• Félicitations, Jake, tu es le meilleur, murmurais-je entre mes dents, las de l’entendre se glorifier. 
• On ne peut pas en dire autant de toi. Je ne manquerais pas de préciser à Lokmond ton retard de cinq minutes et ton manque de professionnalisme avec notre client. J’ai bien cru que tu allais tout faire foirer en lui répondant de la sorte ! Heureusement que je suis intervenu. 
• Je vais y aller, je dois mettre au propre mes notes. À demain, Jake. 

Jake acquiesça sans ajouter un mot et se dirigea vers son véhicule. Je l’observais sortir du parking jusqu’à ce qu’il tourne dans une rue adjacente d’un air impassible. À peine avait-il disparu de mon périmètre que des larmes commencèrent à couler le long de mes joues. 

Entre la pression d’arriver à l’heure ce matin et les risques que j’avais pris pour, l’altercation avec Tobias sans savoir à qui je m’adressais réellement et le rendez-vous durant lequel Jake n’avait cessé de me mettre plus bas que terre dès qu’il en avait eu l’occasion, j’étais exténuée. Pourquoi fallait-il qu’il rabaisse les autres pour se valoriser ? 

• C’est un monde difficile à apprivoiser, il y a beaucoup plus de requins que de poissons inoffensifs dans cet océan médiatique, s’éleva soudainement une voix derrière moi.

Je sursautais et sécha mes larmes d’un revers de la main avant de faire volteface. Tobias m’observait avec une lueur dans les yeux que je ne saurais décrire. Est-ce que ça serait de la compassion ? Non, impossible. Du peu que j’avais vu de lui, il était plutôt du genre prétentieux et dédaigneux. Le mot “compassion” devait être inconnu pour lui. 

• De quel côté vous placez-vous ? lui demandais-je.
• Ni l’un, ni l’autre. Je me considère plutôt comme un dauphin. Malin, futé et intelligent. Trois qualités qui me collent parfaitement à la peau. 
• Non mais ça va les chevilles ? 

Je grimaçais en me rendant compte de mon manque de politesse. Alors que je m’apprêtais à m’excuser, je remarquais que Tobias ne semblait pas contrarié, au contraire. Il souriait à pleines dents face à ma réaction impulsive. 

• Tu as plus de cran quand tu n’es pas en présence de ton manager, fit-il remarquer en me tutoyant sans me demander l’autorisation. Pourquoi est-ce que tu t’écrases quand il est là ?
• Je ne m’écrase pas, je le laisse parler.
• Ça revient au même. 
• C’est mon supérieur, tranchais-je d’une voix froide. Je ne peux pas me permettre d’être odieuse ou insolente avec lui au risque de perdre ma place. 
• Même quand il te traite comme une moins que rien ?

Je marquais un temps d’arrêt face à cette interrogation. En soit, il n’avait pas tort. Je me laissais facilement humilier par Jake et avais du mal à le remettre à sa place. Mais je savais que si je franchissais la ligne, il en profiterait pour me mettre sur le banc de touche et tous mes efforts de ces dernières années n’auraient servi à rien.

• Je ne veux pas tout ruiner pour quelques paroles déplacées, soupirais-je. 
• Quelques paroles déplacées ? C’est comme ça que tu appelles le harcèlement qu’il te fait subir ? 
• Mais qu’est-ce que ça peut vous faire au juste ? m’emportais-je en le fusillant du regard. Mêlez-vous de ce qui vous regarde. Je ne devrais même pas discuter avec vous. Vous n’êtes pas mon client, vous êtes celui de Jake et je ne suis pas hab…
• En parlant de ça, me coupa-t-il brusquement. J’ai pris ma décision et je ne signerais pas ce contrat. 

J’ouvris de grands yeux ébahis devant sa déclaration inattendue. Comment ça, il refusait de signer ? Il avait pourtant l’air enjoué pendant la réunion et avait montré un intérêt certain pour les propositions de Jake alors pourquoi ce revirement de situation ? Et si c’était moi qui venais de tout saboter avec mes excès d’impolitesse ?

• Je suis vraiment désolée pour mon manque de professionnalisme Monsieur Silvester mais vous ne devriez pas punir Jake pour mes erreurs, m’excusais-je, espérant rattraper le coup. Il est compétent et s’est déjà occupé de personnalités très importantes. Il a de l’expérience, vous pouvez lui faire confiance.
• Ses propositions sont intéressantes. Mais il n’a pas le profil que je recherche. Et en plus, je doute que toutes ces brillantes idées viennent de lui. Je me trompe ? me questionna-t-il avec un regard appuyé. 
• Et bien… nous… nous avons travaillé ensemble donc…
• C’est bien ce qu’il me semblait, m’interrompa-t-il à nouveau. Monsieur Parker est peut-être un bon commercial mais je ne crois pas en ses capacités d’attaché de presse. C’est pour cela que je ne signerais pas avec lui.

Mes battements de cœur s’étaient accélérés à l’entente de cette phrase. Il avait appuyé sur le dernier mot un peu trop clairement pour que ce ne soit qu’une simple coïncidence et son regard en disait long sur ce qu’il était en train de mijoter. 

Et alors que j’essayais de chasser cette idée absurde qui était en train de naître dans ma tête, à mon grand désarroi, celle-ci se confirma lorsque sa voix résonna de nouveau.

• Je veux signer ce contrat avec toi, Cléa Stanford.

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